Richard Hawley

Richard Hawley

Truelove's gutter (2009)

 

Avec ses fantasmes de Scott Walker, des ritournelles de cowboy solitaire et une dégaine à la Elvis Presley, Richard Hawley est carrément anachronique dans l'Angleterre grise de la "middle-class" - autrefois chantée par Pulp, dont il a été le guitariste de tournée. Cinquième volume d'une discographie solo plus que cohérente et classieuse, "Truelove's gutter" le voit enfin accéder au coeur de son art.

Peu d'artistes parviennent à donner autant d'intensité au silence, à le rendre aussi présent (Mark Hollis, dans un genre très différent). Hawley y parvient d'entrée de jeu sur "As the dawn breaks". Avec juste sa belle voix de baryton, quelques accords de guitare plus quelques sons lointains et atmosphériques, c'est une chanson qui vise les cimes de "Love me tender" de Presley chantée au plus près du micro, et la mélancolie de "Moonriver" de Henri Mancini. Pas moins. On relève la suprême élégance qu'a Richard Hawley de placer en premier titre une chanson de fin rêvée, auprès de laquelle le reste risque de faire pâle figure : ce n'est pas le cas, et la suite de "Truelove's gutter" réussit à tenir la note. "Open up your door" commence dans la même veine, mais avec une mélodie plus charnelle, qui culmine dans un finale aussi jouissif que poignant dans lequel Richard fait péter l'orchestre. Très accessoirement, des charognards de pubeux en ont fait le fond sonore pour un spot Häagen Dazs... A l'autre bout du disque, il nous refait le coup avec "Soldier on", qui chasse sur des terres proches du Matt Ward de "Hold time" - en mieux : c'est un titre d'abord totalement en apesanteur, avec des violons qui tiennent l'accord (on pense à "Boychild" de Scott Walker). Puis, comme un orage qui aurait enflé sans qu'on le remarque, une brusque explosion de deux minutes avec forces cordes et rythmique appuyée.

Tapi dans la pénombre ou au sommet d'une montagne orchestrale, Hawley n'a jamais l'air de forcer et garde son impeccable allure de crooner. L'écriture de "Ashes on the fire" se rapproche des canons country-pop grand public, mais avec une orchestration très sobre. Glenn Campbell ou George Jones auraient pu la chanter. "Remorse code" arrive à tenir presque dix minutes sur deux accords : une basse ronde et une guitare électrique pleine de reverb réchauffent un fond très sombre  - "Those white lines / Made your eyes wide"... Ce n'est pas pour autant un morceau de bravoure, et on préfère les titres plus concis. "Don't get hung up in your soul" est le titre sur lequel Richard Hawley semble le plus hypnotisé par sa propre voix ; une guitare effleurée et une scie musicale réussissent encore une fois à créer la magie. Et dire qu'en France on a Eddy Mitchell qui flemmardise ad nauseam sur Harry Nilsson et John Wayne...

"Don't you cry" commence abstraitement, avant que la mélodie ne se détache tout doucement. C'est une longue caresse finale, un hymne discret que Richard Hawley adresse a une armée qui s'ignore, celle de tous les romantiques et les amoureux de ce monde.

 

texte repris de www.sefronia.com